dimanche 17 juin 2007

La ligne verte

Depuis son départ elle a continué sur une route tracée à coup de règles, évitant soigneusement courbures et autres croisements car c'est bien souvent là que se produisent les dérapages accidentels. Puis leurs routes ont de nouveau convergé et en sens inverse leurs bolides se sont croisés, mais pas leurs regards. Une ignorance plein phare. Son rêve suivant voulut effacer cet affront mutuel, mais de jouer les entremetteurs ne lui fut pas favorable: la force de l'habitude voulut qu'El essaya de le tuer au réveil. Seulement cette fois El échoua, l'envoyant dans un coma semi-conscient, à défaut de le renvoyer comme chaque matin par le fond de son inconscient. Dans ce lieu unique où le meurtre est un principe, seule la tentative de meurtre devient un crime. Une chance que son acte n'ait pas été réfléchi, qu'il relevait à l'origine de l'instinct. L'echec l'accable mais qu'il soit à un mécanisme universel l'exempte de la charge de préméditation. Pendant la bataille juridique du rêve pour sa survie, El reste derrière les vrais barreaux qui maintenant lui barrent la route, lieu originel du drame. C'est d'ici qu'El assure seule sa défense, une prise de temps forcée afin qu'à son tour El prenne le temps d'y repenser pour se repentir, de repenser au rêve pour le réveiller. L'arrangement avec la partie adverse est simple: s'il sort du coma, El sort de prison. Que le rêve survive à sa conscience et El pourra douloureusement purger sa peine en liberté. Qu'il meure dans les bras de son inconscient et El demeurera paisiblement impunie en cellule.
Cependant El sait que sortir de cette prison c'est continuer d'enfoncer les portes mais des portes ouvertes vers sa conscience, des portes qui n'offrent plus de résistance et qui laisseront passer bien d'autres rêves encore vivants. Or ce dont elle rêve en cet instant c'est d'achever ce dernier pour enfin en finir avec cette trop longue histoire chimérique. Alors El enfonce une dernière fois tête baissée la porte barrée de sa cellule, s'y défonce une ultime fois la pensée pour ne plus jamais réfléchir, ne plus jamais le réveiller. El disait que faute avouée est à demi pardonnée, voilà pourquoi étendue au pied des barreaux elle signait en ce jour ses aveux à l'encre écarlate.

1 commentaire:

Myriam a dit…

El sait que sortir de cette prison c'est enfoncer une porte ouverte vers sa conscience. El sait que c'est l'inverse de ne plus réfléchir, de ne plus jamais se réveiller. El sait que même ensanglantée aux pieds des barreaux emprisonnée, même si elle avoue, elle ne mérite rien de moins que la liberté. El sait que faute à moitié avouée est pardonnée. Que tout ce qu'on n'exige pas d'elle on le reconnaît d'elle... On la reconnaît d'El.

El sait.