vendredi 22 août 2008

Ma vie, cette suite d'accidents


Jour J

Le philosophe dira qu'on ne peut agir que sur ce qui dépend de nous, et je lui répondrai que rien ne dépend de nous. Nous n'agissons pas, nous réagissons. Nous ne construisons pas, nous sommes hypocritement fiers de penser avoir préservé ce que l'autre n'a pas encore détruit, mais cela viendra. Détruire c'est comme dormir: une inaction vitale chez l'autre. Mais lui jeter la pierre c'est encore se lapider soi-même, car je serai toujours l'autre d'un autre. Il n'y a rien de fatal là-dedans. Si détruire est comme dormir, alors détruire ne tue pas, car d'un banal sommeil on se relève toujours. Non, le seul à tuer, à agir sans faux-semblant, c'est l'Autre. Il est l'Autre commun de tous les autres. De ses aiguilles il nous pousse dans le dos pour nous acculer au dernier étage de notre vie, nous faisant trébucher sur chaque marche, puis d'une dernière impulsion il nous fera trépasser par la fenêtre. Prématurément campée devant la mienne, je le défiais, l'attendais avec l'insolence de ne pas l'avoir attendu pour y parvenir. Mais je savais par expérience qu'il préférait tromper les consciences résignées et surprendre. Alors j'ai fermé les yeux sur tout, et il a fini par venir.
C'est ainsi que le temps est venu, pour moi. Tic-Tac. Tic-Tac. Tic-Clac!
Contrairement à ce qu'ils en ont pensé, ce n'est pas moi mais, comme je viens de l'expliquer, l'aiguille des secondes qui m'a violemment poussée dans le dos, tout droit dans les bras de la fenêtre d'en face qui les avait grands ouverts en attendant d'embrasser ma vie toute entière.
Puis le temps est reparti, pour un tour d'horizon. Tac-Tic. Tac-Tic. Tac-Clic, photo...


...album des flash-backs.






Jour J-?


Oui Bach, Beethoven... Tu n'aimes pas la musique classique? Comment ça, "quand même pas au berceau"... Et au volant? Moi quand je roule en respirant ces airs-là de musique, j'ai l'impression que ma voiture se prend pour une croche elle-même, et qu'elle devient si facile à conduire... comme si la route était aussi rectiligne qu'une portée! Seulement, un jour il y a eu un virage... C'est ce jour-là que j'ai compris, comme Galilée, qu'au bout d'une route qui semble droite, il peut y avoir un rayon de courbure bien caché. Et comme il faut toujours être deux pour valider une découverte importante, elle était là. Tout s'est passé si vite, je n'ai jamais pris de décision aussi rapidement de toute ma vie: non, pas le ravin!!! Je me suis presque demandé comment la voiture qui venait en face et parallèle à moi avait pu se retrouver sur ma trajectoire. Une ligne droite, ça ne se courbe pas? Mais peut-être était-ce cela, amorcer un virage dans sa vie. Pour le coup, c'était ce virage ou plus de vies du tout! Virage, tournage... une cascade digne d'une scène de cinéma. Les roues en l'air, les têtes en bas, le tout juste au dessus du toit de ladite voiture d'en face. Pourtant, seule dans nos souvenirs cette impression de légèreté, malgré la gravité de la situation et d'une tonne de ferraille attachée à nos ceintures de sécurité. C'était comme dans un rêve, aucune sensation n'était plus réelle et le temps n'avait plus cours. Puis ce brusque et inévitable atterrissage sur le toit auquel l'absence de temps avait permis de nous préparer, le bruit de la tôle bleue métallisée sur le bitume, mes coudes rampant sur les morceaux de ma vitre brisée et son pull blanc pourprement entaché de moi. Les pompiers nous ont fait rester allongées des heures durant dans des civières puis des lits d'hôpital tout juste alors que nos pieds appréciaient de nous porter à nouveau. Puis ils m'ont expliqué que vu l'état du tableau de bord, les pédales remontées jusqu'au volant ils ne comprenaient pas comment les miens pouvaient encore toucher le sol. "A la limite vos genoux..." m'avaient-ils avoué. Au lieu d'une amputation, j'avais un simple hématome imprimé par mon propre effet pesant en travers de ma clavicule. Elle aussi était miraculeusement indemne. Finalement, la seule victime à déplorer était une anglaise bleue métallisée.



Jour J-??


"Pourquoi as-tu fait ça? Il ne faut pas, il ne faut plus, plus jamais, tu entends?". J'entends, mais je n'écouterai pas. J'ai déjà contracté mon assurance décès, et dans les termes du contrat il est écrit que ça se terminerait ainsi, un jour... Un jour J, qui aurait pu être hier, mais j'ai passé mon tour, laissé ma place et mon lit d'hôpital à un autre, pour cette fois.
Il n'était pas tard mais il faisait déjà nuit au fond de moi. Toutes lumières éteintes, je naviguais à vue, ricochant d'un regard à un autre de ceux que je croisais sans reconnaître. Je n'en ai accroché qu'un, au détour d'un couloir moins maritime qu'emprunté par les professeurs terminant tard, comme lui ce soir de pleine lune. J'ai dû m'échouer par politesse quelques minutes, le temps qu'il m'incite à suivre le cap du rivage, celui-là même sur lequel j'avais débarqué l'angoisse et duquel il m'était désormais hors de question d'approcher. Comme finalement la direction qu'il me donnait s'opposait à ma volonté, j'ai suivi son sillage mais en sens inverse de celui qu'indiquait l'aiguille de son compas. Pour fuir l'angoisse je carburais aux anxiolytiques. Conjointement, l'idée que le temps s'acharnerait inversement proportionnellement à la dose prescrite contre moi et le fait que cette tempête épuisait mes réserves, m'obligeaient à remplir régulièrement mon réservoir du précieux carburant délivré sur ordonnance, jusqu'à la dernière goutte, celle de trop qui fait déborder d'appels de naufragés voulant encore être sauvés les lignes téléphoniques de S.O.S suicide. Pas moi. Le capitaine préférera couler avec son navire que de laisser l'angoisse le broyer par vagues successives. Mais les gens à terre n'ont que faire de ce code d'honneur, et ont préféré me sauver en me ramenant au port à coups de sirène, gyrophare et perfusion. Je me suis réveillée drapée d'une voilure qui aurait pu être celle de mon mat, noyée dans l'océan blanc des murs de ma nouvelle cabine, et les souvenirs comme ajourés par quelque vorace habitant des profondeurs. M'avait-on réellement sauvée de la noyade ou avais-je juste ouvert les yeux alors que mon corps gisait inerte au fond d'un gouffre stérilisé? La réponse s'imposa à moi alors que je constatai ma position assise. Debout, l'évidence était bien pire. Jamais l'eau bienveillante ne m'aurait laissée peser si lourd. Je m'accrochais au porte-perfusion comme s'il s'agissait de mon solide mat métallique, mais à roulettes et avec une sacoche de sérum en guise de voilure. Dans mon esprit j'étais juste échouée sur un navire étranger qui me donnait un affreux mal de mer. Je ne marchais pas, je tanguais au milieu d'un équipage d'uniformes blancs. Le capitaine en personne, qui en plus du bel uniforme blanc porte à sa poche un stylo pour rédiger le carnet de bord, dû venir m'aider à retrouver ma cabine. Fin du délire, retour à la réalité. "Je suis votre médecin, l'ambulance vous a amenée ici cette nuit, au centre hospitalier Henry D., vous ne devez pas vous en souvenir...". Effectivement. "Le Dr G. va venir avec une infirmière vous poser quelques questions." Peu m'importent les questions qu'il me posera, ma réponse est déjà prête: Je veux partir.

La suite au prochain accident

2 commentaires:

Unknown a dit…

où est passée l'autrice?

Megane a dit…

son ombre traine dans les bars et casinos la nuits,

mais une ombre, ça n'a pas de ...