dimanche 3 juin 2007

Actuel autoportrait

Petite, je rêvais chaque jour en saluant le Rhône de remettre à neuf une de ses péniches abandonnées pour l'habiter. Mais en grandissant, l'ébauche du rêve de l'enfant voit ses traits se durcir et le navire se restaurer suivant des plans aléatoires que l'expérience tire au fil des ans. A ce jour, le vent s'engouffre péniblement dans les voiles trop tendues de ses trois mâts -un pour chacune de ces trois dernières années- et de sa monocoque fuyante s'échappent quelques idées noires, puisqu'il est aussi bien trois mâts que pétrolier aux jointures hypersensibles.

Et si ce carburant en cargaison illimitée n'a pas de prix, c'est que sa seule raison d'être à bord est préventive. Quels que soient les assaillants qui réussiraient à s'en emparer encore, puisqu'en capitaine je ne peux abandonner mon navire, je me ferais alors la plus grande joie de les conduire à notre perte. Je saurais maintenant retourner la situation pour venir fendre toutes voiles dehors l'écume des nuages, droit vers le Soleil. Une fois à sa portée, une de ses langues de feu viendrait caresser la poupe du navire, assez délicatement pour qu'une latte de bordage en frémissant lui ouvre sa cale dangereusement remplie, et ainsi... Tout est calculé pour que ce ne soit pas qu'un simple feu de joie, car ce serait dommage de gâcher peut-être l'unique opportunité de laisser sans retenue s'exprimer son explosion. Mais malgré ces précautions, je ne parviens qu'à l'imaginer mitigée sachant que lorsqu'un rêve s'embrase, même en se retrouvant émerveillé de ses petits lambeaux scientillants plein les yeux, rien ne peut empêcher qu'ils redeviennent aussi désuets qu'avant leur incandescence dès qu'ils retombent à l'eau. [...]

Il me faut pour l'instant garder les pieds sur mer, car c'est elle l'unique et véritable matrice dans laquelle ma réalité trouve les points d'ancrage qui assurent sa flottaison.

Ces derniers jours, la mer était assez démontée pour que mon navire, faussement habitué à naviguer en eaux troubles, se laisse sans résistance bercer par la tempête. J'y aurais moi aussi ancré mon sommeil si je n'avais pas aperçu au loin le signal de détresse de mon avenir, échoué sur un îlot ne figurant déjà presque plus sur ma carte en papier buvard. Et puisque pour une fois j'avais un cap, je me suis lancée à son secours. J'aurais dû penser avant aux conséquences que cela implique d'avoir un avenir aux contours tracés de manière si fébrile. Les tremblements de ligne anguleux avaient fait naître de la page sablonneuse les rochers qui ont ouvert dans ma coque une seconde brèche, de laquelle s'est déversée la dernière marrée d'idées noires, souillant la côte de l'îlot et mazoutant mon soit-disant bel inconnu qui tentait de me rejoindre à la nage.


à suivre...

4 commentaires:

DaisyB a dit…

Rien de plus majestueux qu'un navire fier, battant pavillon de son propre monde. Quand la mer sera un peu moins démontée, lorsque le vent sera calmée, tu verra alors la terre ferme et une horde de gens te saluer du rivage. C'est ta force qu'il verront alors, cele là même qui t'aidera à passer à travers la tempête.

Unknown a dit…

le coup de l'amant mazouté, c'est génial, vraiment

Oh la baleine a dit…

Amant devra disparaitre dans les flots le temps de dépolluer la surface qui l'empêche de progresse correctement.
Balein, qui maitrise l'élément marin.

* . Laura . a dit…

je suis très attirée par tes maux. finesse, justesse ...

la mer :) ...


peu inspirée, par contre pour en écrire, des mots, mais je te trouve talentueuse.
merci de bercer mes pensées au son de tes idées :)